Faut-il supprimer le Sénat ?
En politique, c’est ce qu’on appelle un vieux serpent de mer. Du référendum de 1969 au grand débat de 2019, la suppression du Sénat ne date pas d’hier. Et tous les trois ans, lors du renouvellement de la moitié de l’hémicycle, le débat est remis sur la table. Alors doit-on supprimer le Sénat ? Pourquoi le Sénat est-il une institution contestée ?
Le Sénat : une institution contestée depuis longtemps
Le débat sur le rôle du Sénat est ancien. Crée officiellement par les lois constitutionnelles de 1875, le Sénat fait déjà l’objet de contestations sous la Troisième République. Il est accusé par les mouvements progressistes d’être un outil au service des conservateurs, visant simplement à contrebalancer le pouvoir de la Chambre de députés, connue pour sa plus grande politisation et son marquage à gauche. Si des radicaux comme Clemenceau ont défendu sa suppression, le Sénat a néanmoins su garder sa place.
Mais cela ne l’a pas empêché d’être amputé de ses prérogatives principales par la Quatrième République. Accusé de paralyser le vote de la loi avec l’assemblée des députés, il est remplacé par Conseil de la République en 1946. Il faudra attendre la Constitution de 1958 pour qu’un Sénat aux vrais pouvoirs soit consacré, sous l’impulsion du Général de Gaulle.
Pour autant, dans la Cinquième République, la date du 27 avril 1969 est cruciale. C’est en effet ce jour-là que les Français disent non au projet de « rénovation » du Sénat défendu par de Gaulle. Une question centrale déjà pour l’époque, qui provoqua un débat dont l’issue fut la démission du Général dès le lendemain. Si le vote fut davantage une contestation du pouvoir en place que du projet de réforme en question, il illustre tout de même l’enjeu. Il était effectivement question d’une modernisation visant à réduire le pouvoir de sénateurs, en les privant notamment de l’initiative des lois. Et par crainte du jeu des partis, le Général envisageait, dès son discours de Bayeux de 1946, la fusion entre le Sénat et le Conseil économique et social dont on parle aujourd’hui.
Des critiques qui ne concernent plus le Sénat d’aujourd’hui
Si ces critiques pouvaient trouver leur place sous la Troisième République, elles ne résistent pas une seconde à une analyse du fonctionnement institutionnel actuel. Le dernier mot donné à l’Assemblée nationale en cas de désaccord entre les deux chambres démontre en effet que le Sénat est loin d’être l’obstacle au gouvernement que certains pouvaient reprocher.
Plus encore, de par son caractère moins partisan et donc moins passionnel, le travail parlementaire des sénateurs est aujourd’hui reconnu comme un apport nécessaire à celui des députés. Et pour preuve, les députés n’ont que très rarement le dernier mot, finissant généralement par s’accorder sur la version des textes proposée par les « sages » du Sénat.
Mais une légitimité des sénateurs contestée
Cependant, le mode d’élection des sénateurs renvoie à l’image d’une élite politique déconnectée et loin des préoccupations des Français. Élus indirectement par un collège de grands électeurs peu identifiés des citoyens, les sénateurs voient régulièrement leur légitimité discutée. Majoritairement composé d’hommes, relativement âgés, et surreprésenté par la ruralité, le Sénat ne fait pas l’unanimité.
Et si les Français avaient témoigné de l’indulgence vis-à-vis du Sénat en 1969, ils n’en demeurent pas moins beaucoup plus critiques aujourd’hui. Ce sont ainsi plus de 60% des interrogés qui se disent favorable à une suppression du Sénat.
Pourtant, véritables représentants des collectivités territoriales, de leurs acteurs et de leurs problématiques, les sénateurs portent à Paris, devant le gouvernement et les administrations, la voix de la ruralité et des territoires. La tendance à la décentralisation et aux transferts de compétences aux différents échelons locaux rend ce rôle d’autant plus nécessaire.
Le rôle de garde-fou joué par le Sénat
L’exemple du rôle du Sénat en matière constitutionnelle témoigne de son indépendance, mais aussi de l’importance de sa réflexion dans les équilibres politiques et institutionnels du pays. Le gouvernement doit en effet avoir le soutien d’une large partie des sénateurs pour tout changement constitutionnel : soit un vote majoritaire avant que le texte soit soumis à référendum, soit une majorité des 3/5ème des députés et sénateurs réunis en Congrès.
Ainsi le projet de réforme constitutionnelle de François Hollande a-t-il subi le filtre de la sagesse sénatoriale, empêchant la majorité socialiste de l’époque de le mettre en œuvre. Et si l’alternance politique au Sénat reste un problème (une seule présidence de gauche depuis 1958, entre 2011 et 2014 par le socialiste Jean-Pierre Bel), son rôle de contre-pouvoir est réel, même lorsqu’il est de la même couleur politique que la majorité gouvernementale.
A cet égard, la question du rôle du Sénat semble donc trouver des réponses de bon sens. Reste celle de son coût. Si l’on estime que l’ensemble des 348 sénateurs et de leurs services coûte environ 5 euros par an à chaque citoyen français, ne pourrait-on pas envisager l’hypothèse d’une réduction du nombre de parlementaires ?
A l’image du Sénat américain, où le nombre d’élus y siégeant ne dépend pas de la démographie, mais des États représentés, nous pourrions imaginer que le nombre de sénateurs français soit identique dans chaque département. C’est en effet à travers les collectivités que les sénateurs représentent leurs administrés.
Il conviendra enfin de noter qu’en Europe, rares sont les démocraties à s’être séparées de leur chambre haute. Et si la question du monocaméralisme est bien présente en Italie et au Royaume-Uni, seule la Suède a supprimé sa deuxième chambre, en 1971.
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